Barjac m’enchante est depuis des années un des rares endroits où la chanson de langue française est bellement et incontestablement à sa place : la
musique allant de pair. Les concerts s’enchaînent sans interruption du samedi au jeudi suivant. Ce festival a pour but d’enchanter, avec la multitude de synonymes qui vont de régaler à
subjuguer. Partant de cette idée, il m’apparait difficile de donner un avis global sur ce Barjac 2023, fort bien mené, certes,
mais curieusement sans grand relief. Est-ce la faute à un manque d'équilibre entre le texte et la musique ? A des prestations parfois distantes . Où à l’absence des orages habituels,
annonciateurs des désirs de temps nouveaux ?
Le bonheur des formules magiques
Sept artistes passent largement la rampe, mais n’atteignent pas les sommets émotionnels des années
précédentes avec les enthousiasmants Yvan Dautin, Narcisse (slameur magique) ou Hervé Lapalud ; le fascinant Romain Didier ; les voix séduisantes d’Anne Sylvestre, Michèle Bernard,
Juliette, Garance, Rémo Gary ; les découvertes emballantes de Marion Cousineau, Lo’Jo, Flow, Yvette Therolaz, Lilia Tamazit, Nawel Dombrowsky (avec ses trois marmitonnes maîtresses d’une
cuisine explosive). Je pense aussi aux amusants pieds de nez de Wally et Missonne, les rois de la Goguette, aux bondissant(e)s Miravette, Anne Baquet, Clara Yssé et Jérémy Bossone. Et puis, les
formidables Thomas Fersen HK, Marie Paule Belle, Graeme Allwright, et, summum de la magie, le voltigeant Cali. Oui, j’en oublie ! Je ne puis tous et toutes les citer, mais les fidèles
gardent au fond de leur mémoire ces ensorcelants moments de liesse.
Sept coups de cœur
Parmi mes sept coups de cœur 2023, les deux premiers vont à Lula Held et Marion Roch : chacune
dans son genre, à Barjac, possède déjà la classe d’une grande dame de la chanson française. Lula Held séduit en douceur par son violoncelle et son verbe alors que Marion Roch crée carrèment une
atmosphère chamanique : deux envoûteuses. Le magicien des rimes, le populaire Arthur Ribot récolte les suffrages tandis que Govrache tient bon la barre malgré son changement de style et surtout
le désir de modifier sa route. Pourquoi nous priverait-il de sa voix ? Jérôme Pinel, lui, emporte dans l’espace de son merveilleux royaume de banlieue avec la poétique valise d’Habib. Voilà un
enchanteur.
Kent reste fidèle à son lui-même et à son timbre séduisant, scénique et distant, dans une
ambiance surchauffée par la fantastique Alice Animal, musicienne ensorcelante, elle même artiste chanteuse hors pair, reine des éléphants roses. À
propos de Dimoné, je partage le point de vue de Michel Kemper dans la revue Nos enchanteurs « Dimoné a retrouvé Jean-Christophe Sirven pour complice et pianiste. Un piano-voix, sur de
nouvelles chansons. Libéré de tout instrument, il parle avec ses doigts, ses bras, ses yeux, chante de tout son corps. Il hurle, se cambre, aime et implore et je ne sais quoi encore : le
débit de ses propos de celui du laid et du beau, il est fondamentalement urgent, intrinsèquement libérateur, novateur. » Mais je confirme aussi la conclusion : pourquoi a-t-il choisi de
rendre ses textes inaudibles tout comme le formidable musicien et poète Batlik qui souhaite également et volontairement donner la scène à la musique plutôt qu’aux paroles : dommage pour
celui qui n’aime pas la gare de Saint
Nazaire. Ses paroles ont dû prendre le train et nous restons sur le quai. Dommage aussi pour la poésie de
Dimoné. Quel bonheur toutefois d’avoir vibré au son féminin du Well Quartet et de la très grande professionnalité de Thibaud Defever, en huitième place, mais avec grâce.
Accessit pour Yoanna : elle chante l'eau et la mer
Je note peu de chansons de la mer à Barjac 2023. On est loin de l’océan et la Méditerranée ne baigne
pas encore les terres d’Édouard Chaulet et l’atelier monde d’Anselme Kieffer. Bref, comme je l’ai dit, rien de très embarquant. Toutefois je ressens beaucoup de ressacs profonds. Dans cette
catégorie j’octroie un accessit à la toujours surprenante Yoanna qui chante d’une magnifique voix de sirène, l’eau de sa mer, à sa façon, intime, prenante, et inspirée. Merci, madame, et merci à
Julie Berthon, Directrice artistique à l'équipe du festival et à celles et ceux qui ne sont pas cités ici.
Pour moi, la chanson est d’abord une incantation magique susceptible de faire léviter, flotter : un
savant mélange de mots, de rythmes et de musiques, portés par une voix et une présence inspirée dans le curieux équilibre d'une frégate voilée, volant sur les flots. Le ton peut avoir la tonalité
paternelle de l’orage et le rogomme des chants de marins, mais aussi celle des sons maternels perçus au profond des mers utérines ou planant dans l’espace du berceau. C’est pourquoi je vous
recommande l’orageuse Marion Roch et la berçante Lula Heldt.
Jean-Marie Quiesse - 22 Août 2023